
Celle qui ne sait plus d’où elle vient
Tu te réveilles parfois avec la sensation qu’il te manque un morceau.
Un fuseau horaire mal synchronisé dans ta tête.
Un mot oublié dans ta langue maternelle.
Une émotion qui vient d’ailleurs.
Tu es là, bien présente dans ta nouvelle vie.
Et pourtant, une partie de toi semble toujours suspendue quelque part — entre deux continents, entre deux vies.
C’est ce que personne ne dit trop quand on parle d’expatriation ou d’immigration :
Ce n’est pas juste changer de pays.
C’est changer de version de toi-même, sans toujours savoir laquelle est la vraie.
Il y a celle que tu étais “avant”, là-bas, dans ton pays d’origine.
Une version ancrée, connue, cadrée par un décor familier.
Puis celle que tu es “ici”, dans cette vie que tu t’es construite ailleurs.
Et celle que tu deviens — floue et en mouvement.
Parfois, ces trois versions cohabitent. Parfois, elles s’entrechoquent.
Parfois, tu ne sais plus laquelle incarner.
Tu vis entre deux fuseaux horaires, littéralement.
Quand tu te couches, chez les autres, c’est le matin.
Quand tu penses à appeler, il est trop tard.
Tu vis avec des gens que tu aimes… à distance.
Tu vis dans une sorte de décalage permanent, entre nostalgie et adaptation, entre passé et présent.
Tu ne te sens plus tout à fait de là-bas.
Mais tu ne seras peut-être jamais totalement d’ici non plus.
Alors tu te débrouilles. Tu apprends à exister sans territoire fixe.
Tu construis un chez-toi intérieur, que tu emportes avec toi comme un bagage invisible.
Parfois, tu te demandes ce que ça fait d’avoir des racines bien plantées.
D’avoir une maison de famille, des habitudes saisonnières ou des repères qui ne bougent pas.
Mais tu sais aussi que tu ne pourrais plus revenir complètement en arrière.
Parce que tu as grandi entre les lignes.
Parce que tu es devenue quelqu’un d’impossible à traduire entièrement.
Parce que tu es riche de tout ce flou.
Ce n’est pas que tu es perdue.
C’est juste que tu es en mouvement.
En train de t’adapter.
Vivante, tout simplement.
Et peut-être que c’est ça, ton ancrage :
Ne pas être d’un seul lieu.
Mais être pleine de mondes à l’intérieur.

